Le jeudi 24 juin s’est tenu au Village by CA notre 3ème rendez-vous des Café de l’IA.

Au programme : une proposition de cadre méthodologique pour une intégration réussie de l’IA en entreprise, présentée par Christophe Rozuel – Cofondateur de Décisions & Co et Candice Charritte – Intégratrice KPI & IA, au sein du groupe API.

L’IA, au-delà de la technologie : une mutation structurelle de l’entreprise

L’enthousiasme technologique autour de l’intelligence artificielle (IA) ne doit pas masquer l’essentiel : le sujet central n’est pas l’outil, mais ce que l’on en fait. Selon l’intervenant, l’IA ne représente pas une simple évolution comparable à un GPS embarqué dans une voiture. Elle s’apparente plutôt à l’avènement de la voiture autonome : une transformation qui reconfigure non seulement la performance, mais l’architecture même de l’entreprise. 

🗣️ « L’IA va transformer la forme même de l’entreprise, pas seulement ses performances 

L’âge de l’obsolescence accélérée

L’IA marque l’entrée dans une ère inédite de mutation accélérée et d’obsolescence permanente. Là où le numérique progressait par paliers, l’IA avance désormais par sauts quantiques, rendant chaque innovation rapidement dépassée. Le cycle technologique ne se mesure plus en années, mais en semaines. 

🧠 Référence utile : Loi d’Amara« On surestime les effets d’une technologie à court terme et on les sous-estime à long terme. »

À la différence des précédentes ruptures, le “long terme”, avec l’IA, c’est déjà maintenant. La contraction du temps de maturité technologique impose une nouvelle temporalité stratégique aux dirigeants. 

Expertise à la demande : choc sur le modèle économique 

Un des points saillants évoqués concerne la banalisation de l’expertise via l’IA. Là où l’entreprise s’appuyait sur des compétences internes, des IA génératives peuvent aujourd’hui produire du code ou du contenu à moindre coût. 

🧾 Exemple : Microsoft annonce que 20 % de son code est généré par IA. Certaines ESN stoppent l’embauche de jeunes développeurs, jugeant les IA plus performantes à ce niveau d’entrée. 

Ce phénomène entraîne des conséquences immédiates et profondes : repositionnement des RH, redéfinition des compétences clés, tensions sur les modèles de formation. 

Le retour en force de la stratégie : un impératif dans le chaos

L’accélération technologique induit un chaos apparent. Pour le dirigeant, la priorité devient la construction d’un cap stable dans un environnement instable. L’IA ne remplace pas la stratégie — elle la rend plus nécessaire que jamais. 

🗨️ « Plus la techno se développe, plus la stratégie revient en force. » 

Un modèle d’alignement stratégique : les trois disciplines de valeur

En s’appuyant sur le modèle de Treacy & Wiersema (1995), l’intervenant plaide pour un retour aux fondamentaux du positionnement stratégique, préalable indispensable à toute intégration intelligente de l’IA. Trois positionnements possibles : 

  1. Excellence opérationnelle : meilleur rapport qualité/prix (ex. : Décathlon) 
  2. Leadership produit/solution : produit unique ou innovation (ex. : Apple) 
  3. Intimité client : connaissance fine et personnalisée du besoin client (ex. : agence sur-mesure) 

Chaque entreprise performante aligne son organisation interne (processus, outils, culture) sur l’un de ces axes. 

L’IA devient alors un levier au service d’un positionnement, et non une fin en soi. 

L’IA n’est pas une stratégie – c’est un catalyseur

Une critique lucide est formulée contre les approches gadget : trop d’entreprises se lancent dans l’IA « parce que c’est tendance », en multipliant des “cas d’usage” sans cohérence stratégique. 

« Utiliser l’IA comme le digital, juste pour améliorer les process, c’est passer à côté de son potentiel transformateur. » 

Le cas d’usage : outil d’entrée, mais attention au piège fonctionnel 

Le cas d’usage, souvent premier point d’entrée dans l’IA (RH, marketing, juridique…), reproduit une logique organisationnelle verticale et cloisonnée, inadaptée à une dynamique de transformation profonde. L’IA invite au contraire à penser l’entreprise comme un système apprenant et transversal. 

Départ stratégique : choisir sa discipline de valeur

Les cas d’usage de l’IA dépendent avant tout de la stratégie dominante de l’entreprise : 

  • Intimité client : cas d’usage orientés vers la connaissance fine du client, la personnalisation des services, l’écoute, la réactivité. L’IA sert ici à collecter, traiter, valoriser des données clients pour renforcer la relation. 
  • Supériorité produit : cas d’usage liés à la R&D, à la conception ou l’amélioration continue de l’offre, aux ateliers d’innovation. L’IA devient un outil de stimulation de l’ingéniosité collective et de prototypage. 
  • Cette discipline oriente les zones d’impact internes (ex. : marketing, production, support, innovation) et guide le développement de la feuille de route IA. 

Formaliser des cas d’usage créateurs de valeur

Une fois les cas d’usage identifiés, il faut : 

  • Cartographier leur impact dans l’entreprise (où l’IA agit-elle ?). 
  • Évaluer leur ROI prévisionnel, car toute initiative IA doit servir une proposition de valeur claire et éviter les effets de mode sans bénéfice réel. L’objectif est d’éviter des investissements gadgets qui deviennent obsolètes rapidement (ex : ChatGPT remplaçant des développements internes plus coûteux). 
  • Identifier les gains : nouveaux services ou gains de productivité. 

🛠 Outil proposé : une matrice croisant deux axes : 

  1. Type de valeur créée : nouveauté stratégique vs gains de productivité. 
  2. Effort nécessaire : faible vs élevé (incluant formation, changement de pratiques).
    => Cette matrice aide à prioriser les cas d’usage IA les plus accessibles et les plus rentables à court terme. 

Gouverner l’IA : créer du cadre, pas du chaos

Christophe insiste : l’IA est une technologie transverse. Sans gouvernance, elle se développe de manière anarchique et anxiogène. 

  • Il faut donc une gouvernance IA pilotée au niveau direction, incarnée par un comité transversal, incluant la DSI, les métiers, la qualité, les RH. 
  • Ce comité fixe des règles d’usage (ex. : ne pas utiliser d’IA publique pour des documents sensibles), communique les finalités et rassure les équipes. 
  • Il clarifie ce que l’IA est autorisée à faire et ce qu’elle ne doit pas faire. 

IA et emploi : un impact nuancé à ce stade

Christophe partage son retour terrain sur plus de 100 diagnostics : 

  • Aucun cas observé de licenciement directement lié à l’IA. 
  • Au contraire, l’IA permet souvent de soulager les équipes sur des tâches répétitives et de réinvestir dans des activités à forte valeur ajoutée (écoute client, personnalisation, innovation). 

Maîtriser la donnée avant de faire de l’IA – Apport de Candice CHARRITTE

Candice complète en revenant à un fondamentaux : la donnée : 

  • Sans digitalisation préalable, pas d’IA possible. 
  • Il faut d’abord : 
  • Acquérir les bonnes données, en lien avec la stratégie. 
  • Qualifier la donnée (véracité, fiabilité, cohérence). 
  • Structurer et enrichir cette donnée pour générer des analyses utiles. 
  • Définir des KPI pertinents et des outils de Business Intelligence. 
  • Ensuite seulement, on peut envisager des cas d’usage IA (ex. : clustering, projection de tendance, interprétation automatique via LLMs). 

Culture IA : humain augmenté, pas humain remplacé

Conclusion partagée : 

  • L’IA n’est pas d’abord un sujet technologique, mais stratégique et économique. 
  • Il faut l’aborder comme un levier d’augmentation des humains par la machine, et non l’inverse. 
  • Les entreprises qui réussissent leur transformation IA sont celles qui l’intègrent dans une culture de projet, de sens, et de transversalité, en mobilisant les compétences hybrides (métier + tech + organisation). 

ALIGNEMENT STRATEGIQUE ESSENTIEL !

Candice CHARRITTE insiste sur l’importance de l’alignement entre les usages IA et la stratégie d’entreprise : ce sont les objectifs stratégiques, les indicateurs de performance (KPI) et les axes de pilotage qui doivent déterminer les données à collecter et à exploiter. Il ne s’agit pas d’implémenter des solutions technologiques par opportunisme, mais de les intégrer dans une logique globale, choisie et cohérente avec la direction prise par l’organisation. 

Dans son entreprise, les données sont nombreuses (depuis 1997, tout est documenté, classifié dans un logiciel interne), mais difficiles à retrouver et à exploiter efficacement. Le défi prioritaire devient alors : rendre l’information existante disponible, accessible, et exploitable de manière transversale (par exemple : croiser informations client, stock, compétences internes disponibles). Cela nécessite un travail de fond sur l’organisation de la donnée et son accessibilité. 

Contraintes techniques et stratégiques d’un déploiement IA en interne

La démarche IA repose ici sur un lecteur d’information interne (« Nos vies ») développé sur mesure, capable d’agréger les données internes. Cela progresse étape par étape, avec plusieurs contraintes majeures identifiées : 

  • Contrainte budgétaire : développement, recrutement, abonnements, infrastructures matérielles. 
  • Contrainte philosophique et sécuritaire : politique de “zéro internet” en interne, pour des raisons de sécurité et de culture d’entreprise. Cela implique : 
  • Déploiement de modèles en local (comme Mistral 7M), ce qui suppose des serveurs coûteux (env. 20 000€). 
  • Un arbitrage entre puissance du modèle et capacité d’investissement. 
  • Contrainte d’usage : les cas d’usage internes doivent rester réalistes par rapport aux capacités des modèles utilisés. Exemple : les petits modèles locaux sont efficaces pour reformuler des données textuelles internes, mais insuffisants pour du développement logiciel avancé. 

Cas d’usage opérationnel en interne

L’entreprise a démarré par un projet concret et ciblé : l’automatisation des comptes rendus de réunion, via une application dédiée qui permet : 

  • Enregistrement audio ou notes manuelles. 
  • Génération automatique de comptes rendus formatés et intégrés dans le logiciel métier. 
  • Traitement totalement interne (hors internet), garantissant la confidentialité. 

Les prochaines étapes incluent un chatbot permettant d’interroger la documentation interne (manuels, livrets d’accueil, procédures, etc.), grâce à de l’IA + recherche sémantique. 

Cela implique un pré-requis organisationnel fort : structuration, mise à jour, qualité et homogénéité des documents internes, dans une entreprise aux pratiques documentaires historiques hétérogènes. Cela soulève une tension stratégique : faut-il adapter les IA à 25 ans de documentation, ou refondre la documentation pour qu’elle soit interrogeable ? 

Implication des salariés et dynamique collective

Candice insiste sur un élément déterminant du succès : l’adhésion des salariés. Il ne suffit pas de développer un outil ; il faut qu’il soit utilisé, testé, amélioré avec et par les utilisateurs. Cela permet : 

  • Un retour sur investissement réel. 
  • Une valorisation du travail et de l’expertise des techniciens (électriciens,
  • automaticiens…). 
  • Une meilleure qualité et clarté des données produites (notamment les comptes rendus). 
  • Une plus grande satisfaction : les salariés sentent que l’entreprise avance avec eux, non contre eux. 

Les dynamiques des “Cafés IA” : culture commune et acculturation

Un des outils clés de cette implication est l’organisation mensuelle de “Cafés IA”, moments d’échange conviviaux autour des usages et des enjeux de l’IA : 

  • Format : 30 personnes, pendant la pause-café (10h15-11h), dans une salle agréable avec vue mer (ce détail est assumé comme stratégique !). 
  • Objectif initial : désamorcer les peurs (“elle va voler nos métiers”, “c’est une boîte noire”) en créant une culture commune et dédramatisée. 
  • Moyens d’adhésion : pédagogie, démonstrations, convivialité… et gâteaux faits maison pour attirer les premiers participants ! 

Chaque session s’appuie sur les modules de https://cafeia.org/ : plateforme dédiée à l’acculturation à l’IA en entreprise, avec des jeux, des activités, des statistiques, et des ressources pour animer les échanges. 

Thématiques abordées et posture pédagogique

Chaque Café IA suit une trame pédagogique en trois temps : 

  1. Une thématique centrale (ex : “Qu’est-ce que l’IA ?”, “Bonnes pratiques”, etc.). 
  2. Une démonstration d’outil concret (ex : Gamma, Lapin, IA dans l’agro, etc.). 
  3. Une ouverture sur l’actualité IA (ex : bras robotisé open-source à 110€, robotique française…). 

Candice souligne que les sujets viennent souvent des salariés eux-mêmes, ce qui renforce l’intérêt et l’implication collective. 

Culture de la vigilance et bonne hygiène numérique

Un point central abordé régulièrement est celui de la sécurité et des bonnes pratiques : 

  • Rappels : ne pas partager de données confidentielles, ni de données client, ni d’informations personnelles. 
  • Enjeux de consentement, d’hébergement, et de transparence des plateformes gratuites (qui utilisent les données). 
  • Posture pédagogique : “Ce n’est pas magique, ce n’est pas neutre”. L’IA repose sur des données, des algorithmes, des infrastructures, et des choix politiques et économiques. 

 ✅ Synthèse des convictions clés

  • L’IA est une rupture paradigmatique, pas une simple évolution technologique. 
  • L’urgence est stratégique : clarifier son cap avant de déployer des outils. 
  • Le positionnement de marché et le modèle opérationnel associé conditionnent les usages pertinents de l’IA. 
  • L’alignement organisationnel est clé pour exploiter le plein potentiel de l’IA. 
  • Le “long terme” technologique est devenu immédiat : ne pas agir, c’est déjà prendre du retard. 

🔗 Pour aller plus loin 

  • Treacy & Wiersema, The Discipline of Market Leaders (Harvard Business Review, 1995) 
  • Loi d’Amara – Roy Amara, Institute for the Future 
  • Sur les impacts organisationnels de l’IA : rapport France Stratégie (2023) – « IA générative : quel impact sur les métiers et les compétences ? » 

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